Portrait d’éleveur : La Laine de la Ferme Des Cycles
Un portrait d’éleveur sur nos pages aujourd’hui, pour découvrir l’incroyable travail engagé qui s’effectue au cœur de la ferme des cycles !
J’ai découvert la laine de Louise et Jérémy via Etsy, mais j’ai tenu à les contacter directement. C’est comme cela que j’ai pu échanger avec Louise, découvrir un peu plus leur travail et leur laine teintée naturellement. Une fois reçue, j’ai réalisé que c’est exactement le genre de démarche que je veux mettre en lumière. Impossible de garder pour moi cette trouvailles : les laines sont faites pour être partagées !
Le travail qu’ils font au quotidien est admirable, et je remercie très chaleureusement Louise pour sa générosité ! Elle nous ouvre littéralement les portes de sa ferme, de son quotidien, de leur démarche… Vouloir créer une énergie circulaire dans une entreprise est parfois peu aisé : la ferme des cycles y parvient !
Emplis des principes fondamentaux de la permaculture, Louise et Jérémy font quasiment tout eux-même : élevage, traite, gestion des champs, mise en cave et affinage des fromages, gestion des gestations, transformation de la laine, teinture naturelle…
Un cycle complet, de A à Z, qui prend tout son sens.
Je ne peux que vous encourager à découvrir leur gamme de laine sur leur boutique en ligne. Sur leur site internet, vous découvrirez également leurs savons artisanaux (pour les fromages des brebis, si vous avez la chance d’être sur place !).
Enfin, il est à noter que la ferme des cycles fait partie :
- du réseau ATELIER LAINES D’EUROPE qui développe et valorise la production/ transformation de fibres naturelles d’Europe, dans le cadre d’entreprises individuelles ou collectives, artisanales ou agricoles
- et qu’iels bénéficient du label Nature et Progrès !
Deux raisons de plus pour faire connaissance de leur laine transformée par leurs soins.
Encore merci à Louise pour son partage formidable !
Bonne découverte !
Bonjour Louise, pourrais-tu te présenter pour celles qui vous découvrent ?
Bonjour, je suis Louise, de la ferme des Cycles. J’ai plusieurs personnalités, plusieurs activités, et elles sont toutes reliées et connectées.
Je suis à la fois artiste, avec un côté créatif qui déborde du cadre, mais aussi rigoureuse et scientifique, très manuelle. J’adore toucher la matière et la transformer, fabriquer avec mes mains. J’ai besoin de la nature pour vivre, j’aime le côté imprévisible des animaux – même s’ils sont la source principale de mon stress et de ma fatigue au quotidien, je dois l’avouer !
Je touche ainsi à plusieurs domaines que j’essaie de relier dans mon quotidien.
Comment as-tu rencontrée l’univers de la laine et du fil ?
Je suis arrivée dans l’univers de la laine et du fil assez classiquement je dirais, par la couture. À l’époque je vivais dans un appartement en ville, et j’avais besoin de faire des choses avec mes mains. J’ai toujours été sensible aux couleurs et aux matières, je me suis alors dit que la couture me plairait. J’ai acheté ma première machine à coudre et je m’y suis mise. J’ai adoré, mais au fond de moi je savais que ça ne remplirait pas entièrement mon besoin que j’avais du mal à définir alors.
Ma sœur tricotait beaucoup, elle me disais souvent que ça me plairait. J’ai mis quelques années à m’y mettre par peur de devenir accro et d’y passer tout mon temps. J’ai finalement adoré le côté créatif mais carré du tricot. L’infinité de possibilités et de combinaisons de couleurs, textures, fibres, formes…
En parallèle, je changeais beaucoup d’éléments dans ma vie : j’avais besoin d’être actrice de la transition écologique et sociale que je désirais pour ce monde.
J’ai donc petit à petit modifié ma façon de vivre, de consommer. Jusqu’à quitter mon travail, mon appart et tous les liens matériels qui y étaient rattachés, y compris l’homme avec qui je vivais depuis 7 ans.
J’ai alors rencontré Jérémy, nous sommes alors partis en wwoofing. Pendant un an et demi, nous avons vécu dans une quinzaine de fermes, avec seulement notre voiture et des vêtements pour les quatre saisons. Mais… j’avais aussi un énorme carton rempli de laines et d’aiguilles qui prenait un sixième de la place dans la voiture ! Je ne me voyais pas partir sans tricot, et mes affaires de dessin et d’aquarelle. Nous avons découvert ce que des hommes et des femmes font au quotidien pour nourrir la population tout en préservant les ressources et en prenant soin de la Terre et des Humains.
C’est pendant ce voyage que nous avons commencé à nous former à la permaculture en faisant notre CCP (cours de conception en permaculture). Ce voyage nous a donné envie de participer nous aussi, et nous avons cherché un lieu où nous installer, avec l’intention de faire du fromage.
Nous avons trouvé par hasard la ferme où nous sommes maintenant, où il y avait déjà des brebis et c’est comme ça que ça a démarré.
Nous avons repris l’activité fromage, mais 4 mois plus tard, dès la première tonte, je n’ai pas pu me résoudre à ajouter cette ressource qu’est la laine. Elle compostait dans un coin de la ferme depuis des années. J’ai alors cherché comment aller plus loin. Je me suis formée au filage de la laine au rouet, et là j’ai eu le sentiment de connecter enfin tous les éléments.
Enfin tout prenait du sens et s’assemblait !
Je maitrisais la chaine d’un bout à l’autre : j’élevais les animaux qui produisent la fibre, et je pouvais aller jusqu’à l’ouvrage fini tricoté.
Bien sûr, j’ai ensuite affiné en fonction de mes préférences et de mon temps disponible, j’ai amélioré les process, continuer de me former dans les différents domaines de la transformation de la laine… Nous avons la chance d’avoir une filature à moins d’une heure de chez nous, nous travaillons donc aujourd’hui avec la filature de Niaux, qui lave, carde et file une partie de notre laine. Puis je fais le reste à la ferme, une partie du filage, la teinture et le feutre.
Aujourd’hui, être entourée d’autres acteurs de la filière (les éleveurs, tondeurs, artisans…) me donne beaucoup d’énergie pour continuer ce chemin difficile de la laine en France, et les clients sont encore trop peu nombreux, mais le soutien que nous recevons pour nos démarches à tous nous motive à continuer dans cette voie.
Tu représentes la Ferme des cycles que tu gères avec Jérémy : vous proposez à la vente des laines issues de votre exploitation. Pourrais-tu nous expliquer quelle est une journée type par exemple ?
Je suis installée avec Jérémy à la ferme des Cycles. Nous n’aimons pas le terme d’« exploitation », symbole de la croyance de supériorité de l’Homme sur son environnement et sur les autres êtres vivants (humains, animaux et végétaux). Nous préférons les termes de « ferme » ou d’« entreprise ».
Nous travaillons avec les principes et éthiques de la permaculture. Nous n’exploitons donc personne et faisons de notre mieux pour prendre soin de la Terre et du vivant. Mais également soin des humains et partager les ressources équitablement avec la nature, avec les êtres vivants et avec l’avenir.
Une journée type est assez difficile à décrire puisqu’elles changent en fonction des jours de la semaine, de la saison, des imprévus… qui représentent plus de la moitié de notre temps de travail ! J’aime ce côté modulable même si c’est très fatiguant. Globalement, quand je me lève, pendant la période de lactation, je commence par aller à la fromagerie. J’y ai toujours quelque chose à faire : mouler des fromages, retourner, saler, mettre en cave…
Quand j’ai fini en fromagerie ou pendant la saison hors traite, je vais vois les brebis dans la bergerie ou dans le champ pour m’assurer que tout aille bien, qu’elles aient de l’eau et de la nourriture. Je m’occupe des agneaux qui ont besoin, je surveille l’état des mères et des brebis en gestation. Pendant la saison de lactation, je vais chercher dans le champ le lot de brebis qui va à la traite pour les rentrer dans la bergerie où elles mangent du foin avant la traite. Puis je fais de l’administratif (gestion, compta, com, commandes…).
Lorsque Jérémy se lève, on prend un temps pour être ensemble, autour du petit déjeuner généralement. Puis c’est le tour des animaux pour lui (nourrir les cochons, les poules, modifier les parcs de pâturage et déplacer les lots de brebis…), tandis que je vais faire la traite. Je ressors les animaux dans leur parc à la prairie puis j’enchaîne avec la transformation du lait en fromage ou yaourts, puis je m’occupe des fromages dans la cave. Jérémy s’occupe de l’entretien de la ferme, il va au marché en fonction des jours.
Après une pause repas vers 14-15h habituellement, les après-midis sont très variables : retour en fromagerie en fonction des types de fromages, entretien de la ferme, construction, fabrication de savons, administratif, accueil à la ferme (visites, ateliers avec des particuliers ou des scolaires…), livraison des points de vente… Le soir, pour faire des activités moins physiques, je file la laine ou tricote les articles que nous vendrons à la ferme ou sur les marchés.
Mises à part ces quelques heures de tricot/filage du soir, la laine n’est pas très présente dans notre quotidien de janvier à août (saison de lactation et touristique). Il y a bien sûr la tonte et le tri de la laine en avril, puis la transformation à la filature pendant l’été, mais c’est à l’automne que nous allouons le plus de temps à cette activité : je fais beaucoup de teinture, c’est ce qui prend le plus de temps.
Je prépare les articles, les pelotes, je conçois les différents produits que nous voulons proposer. Généralement, je file en journée, je prépare les commandes et les marchés de Noël.
Il y a donc une multitude de tâches à la ferme !
La question de la fabrication d’une pelote de laine reste totalement floue pour le grand public. En trouver un peu partout dans les magasins n’aident pas à saisir ce processus semé d’étapes ! Pourrais-tu nous expliquer comment on passe concrètement d’un mouton de la ferme des Cycles à une pelote ?
La transformation de la laine en pelote est finalement globalement le même processus un peu partout, avec des petites nuances. Je vais parler de la laine que je connais.
La laine est la fibre de la brebis uniquement. Je fais un petit rappel : la brebis est la femelle, le bélier le mâle, l’agneau / agnelle les petits. On parle de mouton pour désigner la famille entière !
En tant qu’éleveurs, nous parlons souvent de troupeau de brebis, ou laine de brebis, parce que les cheptels sont constitués quasi exclusivement de femelles (il faut un seul bélier pour trente à cinquante brebis pour la reproduction). Même si je dis « laine de brebis », j’inclus les toisons de nos deux béliers. Parler de laine de mouton est aussi tout à fait correct. La laine d’agneau est la laine tondue sur des jeunes de moins d’un an. Elle est particulièrement fine et douce. Toutefois, la tonte doit être faite uniquement sur des animaux rustiques dans des zones où ils n’auront pas froid sans leur toison.
Les autres animaux produisent de la fibre : nous appelons « alpaca » la fibre des alpagas et des lamas, « mohair » la fibre de chèvres angora et des lapins angora… La laine a des propriétés physico-chimiques uniques que n’ont pas les autres fibres, mais les autres fibres animales sont souvent plus fines et plus douces que la laine.
- Le processus commence toujours par un élevage, c’est à dire par des humains qui s’occupent d’animaux vivants. Avec tous les aléas qui découlent du fait de travailler avec le vivant ! D’une année sur l’autre, les fibres seront différentes en couleur, finesse, longueur, solidité… Même avec les mêmes animaux !
Tout ce que vit l’animal (gestation, maladie, stress, alimentation, sécheresse…) marque la fibre, en bien ou en moins bien. Tant pour l’animal que pour l’humain qui veut récupérer la laine. Ils sont tondus une ou deux fois par an en fonction de la race, du lieu et des conditions de vie… Nous les faisons tondre une fois en avril par un tondeur professionnel qui vient à la ferme pour ça.
La tonte est devenue obligatoire pour nos animaux d’élevage (sauf certaines races africaines qui n’ont plus de laine) à force de sélection génétique sur des milliers d’années pour que les animaux ne muent plus et conservent leur laine. Historiquement, au début de l’élevage, les humains élevaient des moutons pour leur laine (avant de sélectionner la viande ou le lait comme critère principal voire unique).
La tonte permet de récupérer la toison (toute la partie lainée de l’animal) sans tuer l’animal (contrairement à une peau lainée qui comporte aussi le cuir).
- Le jour de la tonte, nous installons une zone de tonte : plancher(ou bâche que nous pouvons balayer entre chaque animal pour ne pas amener de la paille dans la toison. Chaque animal est amené jusqu’au plancher, il y est retourné et assis sur le bas du dos puis confié au tondeur. En fonction de la race (et donc de la quantité de laine), il faut entre 1 et 3 minutes à un tondeur professionnel pour tondre un animal avec une tondeuse électrique. Certains tondeurs tondent avec une grosse paire de ciseaux conçue pour la tonte que l’on appelle des « forces ». Avec nos races, il faut environ 2 à 2’30 minutes à notre tondeur par brebis. C’est le temps que nous avons pour trier la toison précédente et ainsi ne pas prendre de retard sur lui.
- Pendant la tonte, nous trions les toisons au fur et à mesure dans la zone de tri : nous installons un grand tamis sur lequel nous posons les toisons. Le tri sert à débarrasser la toison des végétaux (graines, branches, paille…), des excréments des brebis pris dans les poils, des zones déjà feutrées, etc. Il y a aussi des brins de laine trop courts, que nous appelons « fausse coupe » : ce sont les brins de laine de moins de 5 cm généralement. Ils sont coupés par erreur par le tondeur quand la brebis fait un mouvement inattendu par exemple. L’objectif principal du tondeur est de ne pas blesser l’animal, il lui arrive donc, en évitant un mouvement, de couper la laine non pas au ras de la peau mais un peu plus haut.
- Nous gardons la qualité de laine en fonction des usages que nous voulons en faire. Chez nous à la ferme des Cycles, nous transformons uniquement en pelote pour vos ouvrages, nous ne conservons donc que « la plus belle laine », la plus douce, longue, fine… Ceux qui transforment en tapis ou rembourrage peuvent faire un deuxième tri pour conserver une qualité inférieure. Cela donne une laine moins douce ou moins longue par exemple. La longueur étant un critère très important pour le filage. Plus c’est long plus on a de possibilités au filage. Une toison au départ pèse entre 1 et 3 kilos. Nous enlevons entre 30 et 100% de la toison au moment du tri. Parfois ne ne gardons pas du tout une toison. Et comme chez nous le déchet d’un élément devient ressource pour un autre élément (les cycles), la laine que nous ne « gardons » pas pour transformer va au jardin ! La laine est riche en azote et en gras, elle va nourrir la vie du sol et contribuer à garder notre jardin luxuriant. C’est aussi un excellent couvre sol contre les sécheresses de l’été !
- Une fois la laine triée, elle est mise dans des sacs spéciaux appelés « curons ». Ils sont ultra solides et respirant et n’abiment pas la laine. On peut tasser énormément de laine par sac pour gagner de la place. Nous optimisons ainsi le stockage et le transport.
- Nous portons ensuite la laine à la filature où elle sera d’abord lavée. Pendant le lavage entre 60° et 80°C (le mérinos, plus gras, se lave plus chaud par exemple), la laine est débarrassée des poussières mais surtout du suint : c’est la matière grasse que produit l’animal pour se protéger et imperméabiliser sa toison. On peut l’apparenter à notre sébum. Là, elle va perdre encore entre 40 et 60% de son poids.
À la filature de Niaux, où nous faisons transformer notre laine, cette dernière est ensuite étendue dans l’herbe pour sécher.
- Puis vient l’étape du battage. La laine est mise dans une grande caisse qu’on appelle un « loup » parce qu’il a un rouleau recouvert de très grandes dents métalliques vraiment pointues et acérées. C’est la machine la plus dangereuse de la filature, d’où son nom ! La laine y est brossée, ouverte, elle commence à être démêlée.
Dans les grosses industries de la laine, on trouve une étape supplémentaire : la carbonisation. C’est un moyen chimique pour nettoyer la laine et la débarrasser des végétaux et autres « impuretés ». La laine est plongée dans un bain d’acide sulfurique, ce dernier « brûle » les morceaux de végétaux, puis la laine est fortement chauffée à plus de 100° pour transformer les végétaux brûlés en charbon (d’où le terme de carbonisation). Puis la laine est relavée, puis désacidifiée, voire « teinte » en blanc. Ce procédé, évidement énergivore et pas naturel, il abîme les fibres.
- Vient ensuite l’étape pour rendre la laine « superwash ». La laine possède une sorte de gaine faite d’écailles (un peu comme nos cheveux) qui s’ouvrent à la chaleur et à l’humidité et s’agrippent entre elles : c’est la propriété que nous allons utiliser pour feutrer. Les laines « superwash » sont soit débarrassées de ces écailles par abrasion chimique (trempée dans des bains de produits chimiques) soit recouvertes d’un film plastique, d’une gaine, pour ne plus qu’elles s’écartent. Ça rend la fibre plus douce et infeutrable, donc lavable en machine à laver en programme normal, mais elle perd ses propriétés chimiques, thermiques, naturelles de la laine, et surtout, à cause de toutes ces couches de résine et de plastique, la laine n’est plus biodégradable.
Évidemment ces deux étapes ne sont pas pratiquées à la filature de Niaux ni en France.
D’où l’intérêt de choisir de la laine locale d’éleveurs qui font transformer en France dont vous connaissez toutes les étapes de transformation.
Cest primordial.
La laine de la ferme des Cycles n’a jamais quitté l’Ariège. Elle peut maintenant être :
– soit cardée sur une cardeuse à rouleaux (ou nappeuse) : un enchainement de rouleaux recouverts de petits picots qui brossent la laine et mettent les fibres parallèles. Il en sort ce qu’on appelle une « nappe cardée ». On en trouve sous cette appellation dans le commerce pour filer ou feutrer.
– soit envoyée dans le circuit filage : c’est un processus qui applique beaucoup de force mécanique sur la fibre en étirement, c’est pour ça que nos animaux doivent être en bonne santé et en forme : leur laine est plus solide.
Mais la laine propre et sèche est maintenant « trop sèche » pour être filée, elle risque soit de s’abimer en cassant sous la pression soit d’abimer les machines en s’accrochant trop. Pour être filée sur des machines, elle est donc enduite d’une huile d’ensimage qui va lui permettre de glisser sur elle-même et dans les machines. Puis elle passe sur une cardeuse à rouleaux qui fait une nappe très fine de fibres et qui la divise en « pré-fil », sorte de mèche de fibre très fragile. Ce sont ces mèches qui vont ensuite être tordues sur une autre machine pour faire du « fil simple ». Le fil simple est fait d’un seul brin. Il est encore assez fragile mais se tient. On en trouve dans le commerce, on l’utilise pour des ouvrages qui nécessitent peu de résistance.
Pour faire une fil plus solide et plus épais, plusieurs fils simples sont retordus ensemble. C’est ce qu’on appelle un fil retord, à x brins.
Puis vient la mise en écheveaux ou en cônes, voire en pelote.
À la ferme des Cycles, nous récupérons la laine à l’étape soit de la nappe cardée, soit du cône ou des écheveaux pour pouvoir continuer à la ferme le processus : filage, teinture, retord, feutre, tricot, tissage…
Et pour les toisons spéciales (une couleur naturelle par exemple), nous ne les mettons pas dans le lot qui part en filature, nous la transformons entièrement à la main à la ferme. C’est le cas des toisons de notre bélier Alpa. C’est notre seul animal marron.
- Pour garder un fil blanc avec le reste des toisons et garder la couleur magnifique d’Alpa, je garde sa toison à part. C’est ce que n’importe quel particulier peut faire quand il récupère quelques toisons, de ses propres animaux ou d’un voisin.
- Après le tri, je lave la toison à l’eau de pluie. Je la mets dans une grande bassine et je la rince jusqu’à ce qu’elle ne soit plus aussi grasse. Je l’étends ensuite à sécher dehors à l’ombre.
- Vient l’étape que j’aime le moins parce que je la trouve fastidieuse et fatigante : le cardage. Avec des « cardes » (qui sont des grosses brosses similaires à celles qu’on utilise pour brosser le poil des chiens et des chats), on brosse la toison, poignée par poignée pour enlever les nœuds et mettre les fibres parallèles entre elles. Il existe des mini cardeuses à rouleaux pour les particuliers. C’est peut-être un peu moins fatigant mais tout aussi fastidieux à mon goût.
- Une fois cardée, la laine est prête à être transformée : soit en fil, donc filée à la main au fuseau (peu cher, nomade, léger, super pratique) ou sur un rouet (je préfère le rouet que je trouve beaucoup plus rapide et plus régulier), soit en feutre.
Les laines ont de belles couleurs : comment se déroule ce processus ? Est-ce important pour la Ferme de proposer des laines teintées naturellement ?
J’adore la couleur, je trouve que ça met de la joie dans le quotidien ! Même s’il existe une multitude de nuances dans les couleurs naturelles des animaux, ajouter de la teinture ouvre vraiment le spectre des possibles ! Pour nous, c’est plus qu’important de proposer des laines teintes naturellement, et j’ajouterais avec des végétaux, puisque je n’utilise que des plantes, pas de cochenille par exemple, qui est un insecte qu’on broie pour obtenir le pigment. Je ne peux pas concevoir d’utiliser des colorants de synthèse, je ne me suis même jamais posé la question. J’ai cherché directement du côté des teintures végétales pour plusieurs raisons.
1- La première est bien évidemment éthique et environnementale.
Nous avons fait le choix que chaque décision que nous prenons doit « prendre soin de la Terre, soin de l’Humain, et partager équitablement les ressources ».
Nous suivons les principes de la permaculture, donc nos modes de transformation s’inscrivent dans ces piliers éthiques. Je ne me vois pas utiliser des produits issus de la pétrochimie qui nuiraient à l’environnement, aux travailleurs qui les produisent ou aux générations futures.
2 – La deuxième est la magie de la nature. Il y a tellement de plantes autour de nous qui produisent des colorants naturels, une large variété de couleurs, de nuances, qui vibrent de manière unique. La teinture naturelle raconte cette magie et cette chimie de la nature.
Quand je vais cueillir dans nos prairies des plantes pour teindre la laine de mes brebis qui y pâturent, il y a un lien, une boucle, un cycle qui se fait.
J’utilise aussi des plantes que je fais pousser dans mon jardin, et j’en achète aussi que je ne produis pas (pas le bon sol, pas le bon climat, pas assez de temps disponible, conditions de récoltes trop compliquées pour moi…).
2 bis ! – Une autre raison c’est que la teinture végétale me permet aussi de faire de la pédagogie. La phrase que j’entends le plus à propos de la teinture végétale, c’est « je ne pensais pas qu’on pouvais obtenir des teintes si vives, je croyais que la teinture végétale donnait des nuances un peu couleur « terre », ternes et pastel. ». J’adore les rouges intenses qu’on obtient, les jaunes presque fluos, les nuances corail…
Les bleus issus du pastel ou de l’indigo sont extraordinaires, on n’obtiendra jamais ces vibrations avec des colorants synthétiques !
Je parle de colorants synthétiques parce que la teinture végétale est une réaction chimique. Naturelle mais chimique. La nature est un ensemble de réaction chimiques. La chimie n’est pas une mauvaise chose, ce sont les produits de synthèse, majoritairement issus de la pétrochimie, que je choisis de ne pas utiliser dans ma vie et mes productions.
///Pour le processus, c’est assez simple mais très long, la teinture demande de la patience. Voici notre processus à la ferme des Cycles.
- On commence par laver la fibre, toujours à l’eau de pluie (économisons l’eau du robinet, les traitements sont lourds et chers).
- Puis je fais un premier bain de « mordançage » : la laine est mise à tremper pendant plusieurs heures à plusieurs jours dans une infusion : on a le choix en fonction des résultats qu’on veut obtenir (ronce, rhubarbe, rumex, chêne, alun…).
- e mordançage prépare la fibre à recevoir la couleur, il permet de créer un pont chimique entre la fibre et les molécules de colorant.
- En fonction des bains, je rince ou pas ma laine, puis je la mets à sécher.
- Puis vient la teinture à proprement parler.
Les plantes sont mises à tremper plus ou moins longtemps en fonction de leur nature, en infusions le plus souvent, mais certaines plantes demandent des processus plus simples ou plus complexes ou particuliers. Quand mon bain est coloré, je filtre pour enlever les végétaux, puis je mets ma laine dans le bain. Le plus souvent, je vais monter en température (à l’énergie solaire bien sûr 😉 ) pendant quelques heures.
La température atteinte modifie la couleur en fonction des plantes. C’est ce qui permet d’obtenir autant de nuances plus ou moins subtiles avec le même végétal. Je laisse toujours refroidir dans le bain, et souvent je laisse la laine quelques jours dans le bain. Je la sors, la rince jusqu’à ce que l’eau soit claire (la teinture demande vraiment beaucoup d’eau, heureusement que nous avons une grande quantité de stockage d’eau de pluie !).
Une fois bien lavé, j’étends ma laine à sécher dehors et à l’ombre. En parallèle, mon bain de teinture est réutilisé : j’ai mis d’autres écheveaux dedans, j’obtiendrais une nuance plus claire que pour le premier bain. Ces deux couleurs iront très bien ensemble, et je ne perds pas mon bain de colorant ! Les plantes demandent beaucoup d’énergie et de temps (de la nature mais aussi humain) pour pousser, je ne veux pas « gâcher » toute cette énergie et réutilise donc tout jusqu’à ce que plus rien n’en sorte.
Une fois mes chevaux secs, je les mets en pelote et les étiquette.
Aurais-tu des conseils d’entretiens ou des recommandations à faire concernant tes laines ?
La laine est vivante. Pour que des lainages vivent dans le temps, il faut les porter.
Notre sébum va continuer de les entretenir.
La laine, non superwash bien sûr, a des propriétés exceptionnelles : elle est antibactérienne, thermorégulatrice…
On ne lave pas ses lainages à chaque fois qu’on les a portés une fois ou deux. Pas besoin.
Le soir, on étend son pull et on le laisse à l’air (idéalement dehors pour ceux qui peuvent, sinon devant une fenêtre). La laine ne garde pas les odeurs, tant qu’elle est bien aérée. Par contre, une fois par an, en fin de saison froide, on lave nos objets en laine pour les stocker propres : les mites en seront moins friandes.
Pour laver la laine, on peut la mettre en machine (programme laine s’il existe), mais attention : ce qui fait feutrer la laine, c’est la combinaison de la molécule basique de savon avec l’eau chaude qui ouvre les écailles combinés au frottement, au mouvement. Donc : un programme laine (existant sur la machine ou par vos réglages) c’est 30° maximum, avec peu de savon ou un savon spécial laine mais la composition est souvent issue de la pétrochimie, et surtout pas d’essorage ! Les programmes laine font en fait un essorage doux : le tambour ne fait pas de tours complets mais simplement des balancements.
Sinon, si vous n’avez que quelques pièces à laver, le lavage à la main évite toujours le stress de retrouver son pull préféré sortir de la machine à la taille de ses enfant. Et pour le séchage, à plat car la laine mouillée est très lourde. C’est sûr que ça prend de la place, mais c’est toujours mieux que d’avoir un pull tout étiré dont la forme ne nous donne pas du tout envie de le mettre. La laine mouillée est très très lourde. Ah et si vous avez du parquet, n’oubliez pas la serpillère sous votre étendoir, ça va couler un peu…
Enfin, aurais-tu des événements à partager ?
Nous faisons chaque année des portes ouvertes le dernier week-end d’avril, pour ceux qui veulent venir voir la ferme et comment on travaille.
Nous proposons aussi toute l’année des ateliers de découverte pour apprendre nos savoir-faire : transformation de la laine (filage ou feutrage), mais aussi fabriquer votre savon au lait de brebis ou votre fromage.
Il y a tous les évènements publics, les foires, les salons, de la laine ou d’artisanat qui sont toujours des endroits incroyables où rencontrer des vrais artisans qui vivent de leur travail.
Et n’oubliez pas les cafés tricots / crochet etc. qui sont l’occasion de se rencontrer, discuter, échanger, apprendre, ces moments font la richesse de nos liens humains et artisanaux !
Mille et un mercis Louise pour cette fenêtre vers votre quotidien, votre travail : la multitude d’étapes décrites ici – que je n’ai volontairement pas raccourcies – montrent combien il faut de TEMPS pour réaliser une pelote de laine.
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Je suis Candice Aubert-Dhô, artisane d’art textile engagée pour la laine française.
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