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Portrait d’artisane : Estelle Monna linogravure

La linogravure est un joli monde, comme le portrait d’artisane d’aujourd’hui : je vous présente Estelle Monna. Artiste-graveur installée au 19 rue Victor Hugo à Pernes-les-Fontaines, elle vous ouvre les portes de son atelier…

J’ai découvert son travail – que dis-je, admiré ! – quand nous nous sommes rencontrées à Avignon. J’ai beaucoup aimé la poésie qu’il se dégageait de ses estampes, de son univers tout de bleu vêtu… Une ode à la beauté mélancolique, à la Femme, aux détails, à la Vie… Autant de sujets qui m’intéressent fort et me portent au quotidien.

Je connaissais les premières bases de la linogravure, ayant un petit kit de débutante à l’atelier. J’avais été fascinée par cette magie qui se dégage d’un bout de papier préalablement imprimé par vos soins. Se prendre pour Gutenberg le temps d’un instant est follement palpitant, je vous recommande d’essayer !

J’avais donc hâte de vous faire découvrir le travail d’Estelle, son approche et son univers. Son parcours inspirant donnera peut être quelques ailes (bleues ?) à celles qui voudrons se lancer. Son site internet et son compte Instagram vous plongeront dans ses vagues de poésie.

Bonne découverte 🙂

Bonjour Estelle

Avant toute chose, pourrais-tu te présenter pour celles et ceux qui te découvrent ?

Je m’appelle Estelle, j’ai 32 ans et je suis artiste-graveur. J’ai installé mon atelier dans le sud de la France, dans le village de Pernes-les-Fontaines, où je vis de mon art depuis 3 ans.

Comment as-tu découvert cette fibre artistique et manuelle qui sommeillait en toi ? Comment s’est-elle révélée ?

Je crois que l’art a toujours fait partie de ma vie.

Très tôt, j’ai eu besoin du dessin et de la peinture pour m’aider à vivre et à formuler toutes les émotions que je n’arrivais pas à exprimer autrement. Quand j’étais ado, je dessinais ou je peignais pour parler de mes sentiments. Mais aussi pour provoquer des évènements, comme si les dessiner pouvait les rendre réels. La peinture a été mon premier amour. D’abord l’acrylique puis la peinture à l’huile. J’ai eu du mal à continuer quand je suis arrivée à Paris pour mes études. J’habitais dans un petit appartement et ma chambre puait la térébenthine, ce n’était pas très sain !

J’ai fréquenté un atelier pendant quelques mois pour continuer la peinture à l’huile mais j’ai fini par arrêter pour des raisons financières. Au même moment, je découvrais la gravure pendant mes cours d’Histoire de l’Art et la technique m’a fascinée. J’ai commencé à m’y intéresser, à me documenter, à regarder des œuvres de graveurs célèbres.

Un soir, alors que je buvais un verre avec une amie, elle m’a parlé d’un kit de linogravure qu’elle s’était offert. J’ai eu une révélation, il fallait que j’en fasse moi aussi. Le lendemain, je suis allée à un magasin Beaux-Arts à côté de chez moi pour acheter du matériel et la gravure ne m’a plus quittée depuis.

S’il y a des novices parmi nous, pourrais-tu présenter la linogravure, son principe et ta façon de l’approcher ?

La linogravure est une technique d’impression dérivée de la gravure sur bois.

On parle de gravure en relief parce que c’est le relief qui va recevoir l’encre et créer notre motif. Cette pratique consiste à creuser une matrice en linoléum à l’aide de gouges. Celle-ci est ensuite encrée et pressée sur le papier à la main ou avec une presse. Le résultat de cette impression est ce qu’on appelle un tirage ou une estampe. Elle peut être imprimée en plusieurs exemplaires et numérotée. De manière générale, l’utilisation de plusieurs couleurs nécessite de graver plusieurs matrices, on utilise donc une plaque par couleur.

Je pratique aussi d’autres techniques de gravure comme l’eau forte qui est un procédé complètement différent. Il s’agit d’une technique de gravure sur métal. Les tailles ne sont pas obtenues en attaquant directement le support avec un outil, mais par l’intermédiaire de ce qu’on appelle un mordant (de l’acide nitrique ou équivalent). Il va ronger le métal aux endroits où on l’a laissé découvert. Le reste est protégé par un vernis que l’on applique au préalable. La plaque de métal est ensuite encrée puis pressée sur le papier pour obtenir l’estampe finale.

J’aime travailler sur des supports variés et faire dialoguer entre elles différentes techniques de gravure mais aussi d’autres médium comme le dessin, le collage, la dorure…

J’aime le caractère aléatoire et un peu magique de la gravure, quelque soit la technique. C’est en effet un procédé où l’on révèle le résultat qu’à la fin, au moment du tirage.

Aujourd’hui tu allies deux aspects artistique et technique dans ton quotidien : à la fois le dessin et la gravure, qui oblige également à penser aux impressions en creux. Comment se passe ton processus créatif ?

Je ne distingue pas ces deux techniques dans ma tête. Dessin et gravure cohabitent en permanence de manière naturelle.

Parfois, lorsque je réalise un dessin, je sais déjà comment je vais le transposer en gravure. Parfois je dessine sans penser à la gravure. Il arrive même souvent que le dessin ne devienne jamais une gravure. Il arrive aussi que des dessins soient réalisés uniquement pour être gravés et je ne les conserve pas. Et parfois, je grave aussi directement mes plaques sans passer par le dessin.

Je suis assez lente dans mon processus créatif : je peux avoir de longue période de réflexion et même de longue période sans inspiration. Mais une fois que j’ai une idée en tête, elle m’habite et je dois la réaliser assez rapidement. Si je ne suis pas satisfaite, je la laisse de côté pour y revenir plus tard. Du coup, j’ai beaucoup de projets inachevés qui attendent patiemment à l’atelier… ou bien dans ma tête.

La pratique de la gravure en elle-même est un processus assez long car entre l’ébauche dessinée et le tirage final, il y a beaucoup d’étapes. Je réalise toujours un tirage test une fois que j’ai gravé ma plaque pour voir si je souhaite la retravailler. Je fais aussi des tirages test pour déterminer les encres que je souhaite utiliser ou bien la position de ma plaque sur le tirage. Surtout si j’ai plusieurs matrices à imprimer pour un même tirage ! Souvent, j’affiche ces tirages à l’atelier quelques jours pour les observer. Je ne réalise jamais les tirages définitifs directement. J’ai encore besoin d’un peu de temps pour déterminer si la composition est réellement terminée.

L’eau forte demande encore plus de patience. Il y a beaucoup d’étapes pour préparer et graver une plaque. Il faut par exemple attendre que le vernis que l’on va appliquer pour protéger la plaque du mordant sèche. Ou carrément que le bain dans l’acide soit terminé. Parfois la plaque reste dans l’acide pendant une heure, parfois elle a besoin de plusieurs bains successifs. 

Pour toutes ces raisons, j’ai un processus créatif qui prend du temps. De ce fait je travaille toujours sur plusieurs plaques ou plusieurs projets en même temps à l’atelier.

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Pourrais-tu nous parler de tes inspirations ? Comment fais-tu pour créer une nouvelle illustration par exemple?

Je suis fascinée par la poésie du quotidien et j’y trouve mon inspiration. 

Mes œuvres illustrent des tranches de vie, des instantanés. Les personnages féminins, la nature et la mélancolie y règnent silencieusement et sont omniprésents, comme dans ma vie. 

Beaucoup de mes œuvres s’inspirent de mon propre quotidien et du monde qui m’entoure.

Je trouve aussi l’inspiration dans mes lectures et la musique.

Je cherche à capter des émotions et celles-ci sont traduites par une couleur unique : le bleu.

Véritable signature, le bleu évoque le désir, la douceur, le rêve et le souvenir qui sont mes sujets de prédilection. 

Était-ce une évidence de te lancer dans ce domaine au moment d’imaginer tes études ou ton parcours de vie ?

Oui et non. Après le bac, j’aurais aimé suivre un parcours artistique type Beaux-Arts mais mes parents ne m’ont pas vraiment encouragé dans cette voie. Alors j’ai choisi de faire des études d’Histoire de l’Art et j’ai étudié pendant 4 ans à l’École du Louvre à Paris. Avec le recul, cela a été mes Beaux-Arts à moi et je n’aurais pas pu rêver mieux. Cela a forgé mon œil et certainement influencé mes créations d’aujourd’hui.

J’ai tellement appris en observant le travail des grands maîtres. Quelle chance d’avoir été en cours au plus près des œuvres et d’arpenter les musées parisiens au quotidien. Je restais les soirs à dessiner d’après des sculptures ou des tableaux. Je pouvais rester des heures à observer les moindres détails.

Pendant les années qui ont suivies, je me suis un peu perdue. J’ai travaillé pendant 4 ans en tant que régisseur des œuvres au musée du Louvre. C’était passionnant mais épuisant. Je n’avais plus beaucoup de temps pour créer. C’était métro, boulot, dodo. Je travaillais et sortais beaucoup. Je n’étais pas heureuse mais j’étais trop occupée pour m’en rendre compte.

C’est le confinement qui m’a permis de mettre sur pause cette vie qui ne me convenait plus et de prendre un peu de recul. J’ai eu la chance de quitter Paris juste avant qu’on ne puisse plus bouger en mars 2020, une amie m’a accueillie chez elle à Pernes-les-Fontaines pendant toute la durée du confinement. C’était complètement irréel. Je fuyais ma vie mais je ne le savais pas encore.

J’ai passé deux mois, les mains dans la terre chez mes amies pépiniéristes à apprendre à vivre de nouveau. Je suis remontée à Paris pour démissionner et en juillet j’ai de nouveau débarqué à Pernes-les-Fontaines, cette fois-ci avec mes cartons et mes valises : une nouvelle aventure a commencé pour moi à ce moment-là. Celle d’être artiste à temps complet et d’ouvrir mon atelier de gravure.

Tout ça pour dire que cela a été une évidence bien après mes études. Mon parcours de vie m’a mené à ce moment précis et je n’ai plus hésité quand cela s’est présenté à moi. Je pense que je n’aurais pas fait les choses de la même manière si je n’avais pas vécu ces années à Paris.

Quel est le meilleur conseil que tu aies jamais reçu et que tu transmettrais volontiers ?

Je pense à un conseil que j’ai reçu de ma prof d’arts plastiques au lycée, qui est aussi peintre.

Elle m’a dit quand j’avais 17 ans de ne jamais arrêter de dessiner et de peindre. Elle a su voir à quel point l’art m’habitait. Pour moi qui n’avait pas confiance en ce que je faisais… Cela m’a donné une force invisible. Cela m’a encouragé à continuer à créer pendant les années qui ont suivies. De manière plus ou moins assidue, certes, mais de continuer dans tous les cas.

Je pense qu’il ne faut pas hésiter à dire aux gens qu’on croit en eux. Car personne d’autre ne leur dira peu- être et cela peut changer leur vie.

Avec ton expérience passée, quelle est l’événement que tu es heureuse d’avoir vécu grâce à l’artisanat ?

Il y en a plein ! Mais je pense que je choisis le moment où j’ai reçu les clefs de mon atelier. J’étais très émue et fière de pouvoir m’installer dans un lieu dédié à mon art. C’était l’aboutissement d’un rêve secret que je n’osais partager auparavant car je le pensais inaccessible. !

Enfin, aurais-tu un prochain projet à nous partager ?

Cela fait des années que j’ai plusieurs projets en tête alliant l’écriture et le dessin. J’aimerais qu’un de ces projets prenne vie cette année.

Grand merci pour tes réponses Estelle, et à très bientôt.